Deux arrêts récents viennent renforcer les droits des victimes de harcèlement moral :

Est qualifiée de faute grave la manipulation psychologique d’un subordonné

Un salarié a été licencié pour faute grave pour avoir utilisé le matériel informatique professionnel pour harceler sexuellement et moralement un de ses collaborateurs directs sous des pseudonymes féminins. Il a alors saisi la juridiction prud’homale d’une demande de paiement d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. La cour d’appel d’Aix-en-Provence a confirmé le jugement et l’a débouté de sa demande au motif que les échanges virtuels sur Internet entretenus entre le salarié et son collègue subordonné justifiaient son licenciement dès lors qu’ils revêtaient le caractère de violence morale à l’égard dudit collaborateur.

Dans un arrêt du 12 mai 2010, la Cour de cassation rejette le pourvoi. Elle estime que les juges du fond après avoir relevé que le salarié avait, sous des pseudonymes féminins, entretenu pendant plus d’un an avec un de ses subordonnés une correspondance soutenue, avec son ordinateur professionnel et pendant son temps de travail, consistant à le manipuler pour lui faire croire qu’il entretenait une relation amoureuse et sexuelle virtuelle avec successivement deux femmes afin de développer son emprise psychologique sur lui, ont pu, sans méconnaître le respect dû à la vie privée du salarié, considérer que ces agissements constitutifs de violence morale justifiaient la rupture immédiate de son contrat de travail et constituaient une faute grave.

Le harcèlement moral est retenu dès lors que des faits sont rapportés peu importe leur brièveté

Commentaire de jurisprudence :
Décision de la Cour de cassation, Chambre sociale, rendue le 26/05/2010, cassation partielle.

En l’espèce, un salarié engagé en qualité de vendeur-acheteur de véhicules accidentés, a saisi la juridiction prud’homale après avoir pris acte de la modification par son employeur, et sans son accord, de son contrat de travail lors de son retour d’une longue absence pour maladie. En effet, le salarié avait été affecté à son retour d’arrêt-maladie, bien qu’ayant été déclaré apte à son poste de travail par le médecin du travail lors de la visite de reprise, à l’exécution de tâches subalternes qu’il n’avait jamais exercées auparavant et qu’il lui avait été interdit de prospecter pour acheter des véhicules accidentés.

Il a demandé à la juridiction prud’homale de déclarer la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l’employeur. L’employeur condamné à devoir indemniser le salarié, la juridiction ayant prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail avec les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, forma appel de la décision.
Devant le juge du second degré, il demande le versement d’une somme à titre de dommages et intérêts en raison du harcèlement moral qu’il a subi.

Pour confirmer la décision de première instance à l’encontre de l’employeur, la Cour retient « que le salarié avait subi une rétrogradation ayant un impact sur sa rémunération caractérisant une modification de son contrat de travail », de sorte que la demande de résiliation judiciaire prenait la forme d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Par contre, concernant les faits de harcèlement moral, elle déboute le salarié de sa demande, estimant que « si le salarié a été rétrogradé et mis à l’écart (…) si des menaces ou des propos dégradants ont pu être tenus par l’employeur à son égard au cours de la seconde semaine après la reprise et principalement lors d’un entretien le 21 septembre 2004, ces événements qui se sont déroulés au cours d’une très brève période de temps, compte tenu des arrêts maladie postérieurs à la reprise, sont insuffisants pour caractériser un harcèlement moral ».

La Cour de cassation statuant sur l’affaire, a considéré qu’à juste titre, le juge avait pu déduire que la demande de résiliation judiciaire du contrat était fondée. En revanche, sous le visa des articles L1152-1 et L1154-1 du Code du travail, la Cour de cassation pose un attendu de principe « les faits constitutifs de harcèlement moral peuvent se dérouler sur une brève période ».

En conséquence, si le salarié produit des documents médicaux relatifs à une altération de son état de santé, et prouve que des agissements qualifiables de harcèlement moral, tels qu’une rétrogradation, des menaces et des propos dégradants, ont été commis par l’employeur, alors la demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral est fondée et justifiée peu importe la durée de ces faits.

RAPPEL DU CADRE LÉGAL CONTRE LE HARCÈLEMENT MORAL

Synthèse

Défini par le Code du travail, le harcèlement moral se manifeste par des agissements répétés qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits de la personne du salarié au travail et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Son auteur : un employeur, un cadre, un agent de maîtrise, un collègue de la victime…

Avant tout contentieux, une procédure de médiation peut être engagée par l’une des deux parties.

Quelle est l’étendue de la protection des victimes et des témoins du harcèlement moral ?

La protection concerne le salarié qui a subi ou refusé de subir des agissements constitutifs de harcèlement moral, ainsi que celui qui a témoigné de tels agissements ou les a relatés. Sont interdites toute mesure discriminatoire, toute sanction ou tout licenciement prononcé à l’encontre du salarié victime ou témoin. Sont visées les mesures discriminatoires directes ou indirectes concernant le reclassement, le renouvellement du contrat de travail, la rémunération, la formation, l’affectation, la qualification, la classification, la promotion professionnelle, la mutation. Toute rupture du contrat qui en résulterait, toute disposition ou tout acte contraire est nul de plein droit. Tous les salariés bénéficient de cette protection.

Quelles sanctions à l’encontre de l’auteur de harcèlement moral ?

Tout salarié ayant procédé à des agissements constitutifs de harcèlement moral est passible d’une sanction disciplinaire. Toute personne, y compris le salarié, peut être condamnée pénalement (un an d’emprisonnement et 15 000 € d’amende).

Au terme de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 (JO du 28), est assimilé à une discrimination, tout agissement lié à l’appartenance ou la non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race, la religion, les convictions, l’âge, le handicap, l’orientation sexuelle ou le sexe, et tout agissement à connotation sexuelle, subis par une personne et ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement hostile, intimidant, dégradant, humiliant ou offensant.

Qui organise la prévention en matière de harcèlement moral ?

L’employeur doit organiser la prévention dans son entreprise. Il a, pour cela, une totale liberté dans le choix des moyens à mettre en œuvre. Dans les entreprises et les établissements de 20 salariés et plus, les dispositions relatives à l’interdiction de toute pratique de harcèlement moral doivent figurer dans le règlement intérieur. Ces dispositions doivent être affichées sur le lieu de travail. Le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail peut proposer à l’employeur des mesures de prévention. Les délégués du personnel disposent d’un droit d’alerte en cas d’agissements constitutifs de harcèlement moral. Ils peuvent saisir l’employeur qui doit procéder sans délai à une enquête et mettre fin à cette situation. À défaut, le salarié ou le délégué, avec son accord, peut saisir le référé prud’homal. Le médecin du travail peut proposer des mesures individuelles lorsqu’il constate une altération de l’état de santé physique et mentale du salarié.

La médiation : dans quelles conditions ?

Avant tout contentieux, la victime de harcèlement moral ou la personne mise en cause peut engager une procédure de médiation. Le médiateur est choisi d’un commun accord entre les parties. Il peut s’agir d’une personne appartenant à l’entreprise. Le médiateur s’informe de l’état des relations entre les parties et tente de les concilier. Si la conciliation échoue, il les informe des éventuelles sanctions encourues et des garanties procédurales prévues en faveur de la victime.

Victime ou témoin de harcèlement moral, quel recours ?

Les salariés victimes ou témoins de harcèlement moral peuvent intenter une action en justice auprès du conseil de prud’hommes pour faire cesser ces agissements et demander réparation du préjudice subi. Le salarié doit établir des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

Toute organisation syndicale représentative dans l’entreprise, avec l’accord écrit du salarié, peut engager à sa place une action devant le conseil de prud’hommes et se porter partie civile devant le juge pénal. Le salarié peut toujours intervenir à l’instance ainsi engagée et y mettre fin.